La covid nous montre l’importance de communications claires (et donc d’une rédaction web et UX efficace.)
Malheureusement, souvent les gestionnaires n’ont pas de modèle. Ils ne « voient » pas que leur texte n’est pas si clair, pas si simple et pas si concret. Ils ne réalisent pas que leur texte est difficile à comprendre, surtout par une personne en état de stress (pandémie!) et qui, peut-être, n’a pas eu la chance d’aller longtemps à l’école, ou dont le français n’est pas la langue maternelle…
Conséquence, ils acceptent (voire demandent) des pages web qui utilisent un style administratif.
Je vais illustrer mon propos par un exemple réel de rédaction web problématique, puis proposer un texte de remplacement, et surtout expliquer la différence.
Le texte d’origine
Voici un paragraphe publié sur Quebec.ca/coronavirus le 15 mars 2020 et qui a été maintenu sans modifications majeures pendant 5 mois.
Développement de symptômes
Les résidents du Québec qui développent des symptômes de fièvre, toux ou difficultés respiratoires à leur retour de voyage à l’extérieur du Canada, doivent communiquer avec la ligne 1 877 644-4545. Au besoin, l’intervenant leur indiquera dans quel établissement se rendre pour vérifier leur état de santé. Si une consultation est requise, il est important que le résident informe le milieu de soins de son histoire de voyage avant de se présenter afin que les mesures de prévention requises soient appliquées.
Si vous désirez lire ce paragraphe dans son contexte :
- Première version, du 15 mars 2020.
- Version modifiée du 24 août 2020.
Mon analyse
À part pour la question du voyage qui est restée là 5 mois de trop (!), le texte est « correct », du moins pour une lecteur motivé, concentré et qui a une bonne littératie.
Mais pour un lecteur moins concentré? Par exemple, parce qu’il lit ça dans un contexte émotif tendu (rappel : c’est un virus potentiellement mortel).
Et pour une lectrice avec une moins bonne littératie? On parle ici de 4 personnes sur 10!
Le rôle du ministère ne limite pas à diffuser de l’information. Il doit s’assurer que l’information soit comprise et utilisée. Or, ce texte est inutilement lourd, complexe et abstrait, au point où pour une grande majorité des citoyens, il sera un échec.
Dit autrement, ce texte ne rencontre pas les standards minimaux de qualité.
Le texte que je propose
Comparez avec :
Si vous avez des symptômes
Téléphonez au 1 877 644-4545 si vous avez un ou plusieurs de ces symptômes :
- fièvre (adulte : 38 °C ou plus, enfant)
- toux sèche (en toussant, vous ne sécrétez PAS de liquide épais et collant)
- difficultés à respirer.
Les éternuements ne sont PAS un symptôme de la COVID-19.
Au besoin, l’intervenant vous indiquera dans quelle clinique ou quel hôpital vous rendre pour vous faire examiner par un professionnel de la santé.
(ATTENTION : pour fin de démonstration seulement! Aucun professionnel de la santé n’a révisé ce texte. Surtout, notre compréhension de la covid a depuis beaucoup évolué. La covid elle-même a évolué! Considérez ces informations comme fictives.)
Le verdict?
J’ai fait lire ces deux textes à quelques personnes.
100 % des lecteurs trouvent que le deuxième texte est plus facile à lire et surtout plus facile à comprendre.
Ces lecteurs étaient des universitaires motivés.
Imaginez le verdict d’un citoyen qui n’a pas eu la chance d’aller longtemps à l’école, dont le français est la troisième langue et qui est anxieux.
Qu’en retenez-vous?
4 problèmes… et leurs solutions
Voici ce qu’un rédacteur web (ou un gestionnaire de communication du réseau de la Santé) aura retenu.
1 Guidez le lecteur étape par étape, de façon concrète et directe. Les gestionnaires doivent prioriser à l’aide apportée au lecteur.
2 Incluez toutes les informations dont le lecteur a besoin pour agir. (C’est quoi, concrètement, une toux sèche?) Au pire, donnez des instructions sur la façon de les obtenir.
3 Excluez les informations inutiles ou erronées. (Pourquoi insister encore sur l’historique de voyage alors que la pandémie avait 5 mois et avait tué des milliers de personnes qui n’avaient pas voyagé?)
4 Rédigez de façon claire et simple. Cela améliore la compréhension de tous les lecteurs. Oui, incluant ceux avec une haute littératie!
Mais le vrai problème est ailleurs
Si le texte a été écrit, accepté puis maintenu pendant des mois, c’est que le problème est plus profond que ces 4 solutions.
Le problème, c’est qu’un tel paragraphe correspond à ce que le ministère aime. C’est ce que le ministère veut (ou du moins voulait, puisqu’entre-temps des efforts énormes ont été faits pour clarifier les instructions données aux gens).
Le vrai problème est au niveau stratégique.
La PREMIÈRE solution est…
Les organisations publiques et parapubliques (ainsi que plusieurs entreprises, il ne faut pas se le cacher) doivent prendre cette position :
- Nous sommes au service du public. Ce n’est pas le public qui est à notre service.
- Le public doit comprendre nos textes, et ce sans effort (très important). Que nous comprenions et aimions nos propres textes n’a aucune importance.
- Nous devons avoir des modèles de textes clairs et simples, compris et aimés par nos lecteurs. Nous devons prendre la décision ferme d’adopter ces modèles et de rédiger cette façon.
- Nous devons aussi avoir des exemples de textes difficiles à lire et à comprendre, et nous devons prendre la décision ferme de ne pas écrire comme ça.
Une fois cette position prise (réellement prise), implanter les bonnes pratiques de rédaction sera beaucoup plus facile.
Au besoin, allez chercher l’aide d’un consultant en contenu. Le processus sera plus rapide et moins frustrant.